Dissonance cognitive

Connaissez-vous la dissonance cognitive ?
Et au fait, l’avez-vous ressentie lors de cette élection présidentielle ?

La dissonance cognitive se résume ainsi : lorsque survient une contradiction entre une chose à laquelle je crois et un élément factuel qu’on me met sous les yeux, je ressens une gêne, un malaise. Je vais alors chercher à réduire ce malaise et sortir de cette « dissonance ». Et je m’y prends comment ? C’est là que la théorie de la dissonance cognitive devient intéressante. Voilà ce qu’elle postule : plus ma croyance de base est forte, plus elle est ancrée en moi, plus elle correspond à ma vision du monde et plus je serai imperméable aux faits qui contredisent cette croyance. Je serai même prêt à inventer des faits alternatifs pour réduire cette dissonance ! Ce phénomène s’est parfaitement vérifié lors de nos élections, notamment avec François Fillon à qui tous les cognitivistes peuvent offrir une médaille !

Mettons-nous un instant à la place des électeurs de François Fillon (allez, allez, quelques efforts on va y arriver !). Maintenant, divisons ces électeurs en deux catégories : les militants fillonistes purs et durs d’un côté et les électeurs de droite lambda de l’autre. Que s’est-il passé ? Lorsque les affaires de Fillon sont sorties : grosse dissonance cognitive chez tout le monde. Aïe, voici quelqu’un qui a fait sa campagne sur le thème de la probité et qui se retrouve avec de belles casseroles aux fesses concernant sa propre probité. Que vont faire les électeurs et les militants ? Ils vont, comme le prédit la théorie de la dissonance cognitive, chercher à réduire cette dissonance pour retrouver leur cohérence interne. Beaucoup d’électeurs le feront d’une manière simple (et radicale) en renonçant à voter pour lui. Ils ont en fait révisé leur jugement de base sur Fillon et « rendu les armes ». Leur conviction de base « Fillon est un bon candidat » n’a pas résisté aux éléments factuels mis sous leurs yeux jour après jour. En faisant cela, ils ont rétabli une « consonance cognitive », ils sont redevenus cohérents avec eux-mêmes. Et Fillon a été éjecté du second tour par la même occasion. Et les militants ? Youpi ! ils ont confirmé la théorie de la dissonance cognitive que j’ai énoncée plus haut (vous l’avez compris, elle me plait cette théorie) : loin de réviser leur jugement, ils ont nié les faits mis sous leurs yeux, ils ont adhéré aux explications du type « c’est un cabinet noir qui de l’Elysée téléguide toute cette affaire », « en faisant ça on vole l’élection au peuple français » etc, etc… Des gens de mauvaise foi me direz-vous ? Ce n’est pas le terme qu’utilise notre fameuse théorie. Ils ont simplement cherché à rétablir une consonance et, comme leur croyance de base leur était chevillée au corps, ils ont été imperméables à tout argument reposant sur des éléments factuels. Ils ont donc parfaitement validé la théorie : merci à eux ! Notons que la théorie précise bien que les arguments avancés pour justifier sa croyance de base sont trouvés après que la contradiction a été mise au jour. Et l’imagination est sans limite…

Et vous,, en avez-vous ressenti de la dissonance cognitive à l’occasion de cette élection ? Parce qu’elle n’a pas été présente que les chez électeurs de Fillon. Les nombreux mélenchonistes présents sur les réseaux sociaux s’en sont pris une bonne dose lorsqu’il s’est agi de faire un choix pour le second tour. Comment voter pour un candidat dont je suis convaincu qu’il est le représentant de l’ultralibéralisme que je dénonce matin et soir ? Aïe ! Les tentatives de rétablir la consonance cognitive des mélenchonistes en appelant à voter Macron, blanc ou abstention et trouver une cohérence à leur choix du second tour ont abondé chez sur Facebook. Et là aussi, l’imagination a été sans limite !

Bon, et on fait quoi maintenant ? Voilà quelques propositions : On se met à l’écoute de soi-même et on se pose sincèrement la question : que se passe-t-il en moi lorsque quelqu’un vient contredire mes convictions avec des faits avérés ? Qu’est-ce que je ressens ? Suis-je prêt à entendre ces faits ? Ou la dissonance qu’ils créent en moi me met-elle (sans même que j’en sois conscient) dans une posture de déni ? Suis-je seulement capable d’écouter quand on contredit une de mes convictions ? Mon militantisme ne me rend il pas sourd et aveugle au réel ? Et au fait, est-ce que je ne cherche pas souvent à convaincre quelqu’un en argumentant autour d’éléments factuels qui n’auront aucun effet sur lui car ils contredisent une croyance forte chez lui ? Lequel interlocuteur fait comme moi : il devient imperméable aux faits. Notez bien que l’avantage avec les réseaux sociaux, c’est qu’on peut choisir ses amis et vivre confortablement dans l’entre-soi de ses convictions…. Et ça c’est pratique. Merci Mark Zuckerberg ! Et si, au lieu de contre-argumenter à l’infini, je me mettais en empathie avec l’autre, juste pour me connecter avec sa vision et lui en donner acte. De ce point de vue , tirons notre chapeau à Mélenchon : il a su se connecter à la colère des électeurs de Le Pen et lui en a siphonné un paquet au passage. Parce que les électeurs de Marine Le Pen, quand tu leur expliques par A+B que la mondialisation est une chance, et que de toutes façons, c’est un fait, elle est là et qu’on ne peut rien y faire, ben… ça ne marche pas. Affaire de dissonance avec leur vécu et leur vision du monde (là je me répète). Et puis tiens, autre astuce, si j’avais l’humilité de ne pas chercher à convaincre tout le monde ? Et de sortir du discours stigmatisant la mauvaise foi de l’autre.

Ah, un dernier truc qui montre que la dissonance cognitive peut être utilisée pour la « bonne cause ». Nos amis fumeurs en font l’expérience à chaque fois qu’ils prennent leur paquet de cigarettes et qu’ils lisent FUMER TUE sur le paquet accompagné de photos bien immondes. Le but est justement de créer une dissonance cognitive chez eux. D’un côté ils ont (sensément) une croyance forte qui est « j’ai envie de vivre longtemps et en bonne santé » et de l’autre : FUMER TUE ! Argh !! Les inventeurs de ce slogan postulent que certains vont résoudre cette dissonance et rendre les armes en décidant d’arrêter de fumer. Mais beaucoup de fumeurs font de la résistance et rétablissent leur cohérence en tenant un discours du type « je suis un être libre et je fais ce que je veux de ma santé, la société n’a pas à s’immiscer dans ma vie » ou « arrêter de fumer fait grossir et ça aussi, c’est mauvais pour la santé » ou « je peux bien fumer ce paquet puisque j’arrête la semaine prochaine » ou « je connais quelqu’un qui est mort d’un cancer du poumon sans avoir touché à une cigarette de sa vie ». Comme les militants fillonistes ou mélenchonistes, leur imagination n’a pas de limite… Ah là là, vraiment des gens de mauvaise foi ces fumeurs ! Euh, pardon, des gens qui cherchent à retrouver leur cohérence interne. C’est vrai quoi, déjà ils sentent mauvais à l’extérieur en fumant, si en plus ils doivent se sentir mal à l’aise à l’intérieur…